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Préambule : de l’hypnose à la lecture de François Roustang

dimanche 18 novembre 2018, par psyfph2

Depuis que j’écris pour lecturepsy, j’ai partagé avec vous quelques-uns de mes intérêts et découvertes qui balisent une trajectoire de dix ans.
En cette fin d’année, je débute une série d’épisodes autour de l’ouvrage « La fin de la plainte » de François Roustang. Ce préambule est autant une présentation qu’un avertissement sur la nature des résumés qui suivront et de la lecture personnelle, du parti pris que j’ai adopté ou plutôt l’inclination avec laquelle ils ont été rédigés.

J’ai trouvé chez certains auteurs philosophes (principalement Nietzsche, Rosset, Bergson) ou psychologues ou psychothérapeutes (Janet, Piaget, Bernheim, Lagache, Erickson, Coué…) des passages que je pouvais en partie reprendre à mon compte tandis que ma pratique de psychologue s’infléchissait insensiblement notamment par l’apprentissage de l’hypnose [1] . L’hypnose souple et agile se joue des théories et des dogmes qu’elle délite. Elle invite à reconfigurer ses appuis théoriques, sa pratique, sortir de sa zone de confort. Mais il m’était d’autant plus difficile d’en rendre compte autrement que par des images, des récits factuels, que cette évolution insensible et souterraine s’étendait sur plusieurs années. Je pouvais convoquer en quantité des matériaux familiers, sans aboutir à autre chose que des juxtapositions, voire un amas confus.
Trop rarement ils s’agençaient parfaitement l’espace d’un instant lors d’une séance aux effets thérapeutiques inattendus. Je me souviens de ce patient dont la fureur s’écoulait en un long fleuve de paroles interminables tandis que je restai engoncé dans mon empathie, crispé dans ma neutralité bienveillante. Ses mots débordaient emportant tout sur leur passage, isolant un peu plus le récitant dans son ressentiment, dans sa plainte. Pourtant vint un moment ; où sorti de ma réserve un simple geste dans sa direction, un geste qui le toucha, l’apaisa, tarit soudain ce flot inutile et logorrhéique. L’improvisation, à ma grande surprise, fut bénéfique, mon lâcher prise à moi lui fit du bien. Ce geste avait éteint une parole aux effets délétères.

D’autres fois, ces mêmes éléments revenaient sous forme de questions touchant à des notions lestées, pour un psychologue, du poids de l’évidence. Je pense particulièrement à la « souffrance psychique ». Comment pourrait-on remettre en cause ce qui semble être au cœur d’une grande partie de notre travail ? J’avais envie d’enquêter, d’écrire un article sur la « souffrance psychique ». J’aurais au moins mis au clair, pour moi-même et peut-être quelques lecteurs, la pertinence et les limites de son application à toute une partie du vaste champ des misères humaines. Les résultats d’une première étape de recensement des définitions furent assez décevants car les auteurs qui parlaient le plus de souffrance psychique ne s’embarrassaient pas d’en donner une définition claire (s’ils en donnaient une). Le Lalande était à peine plus éclairant : « souffrance » y renvoyant à « douleur ». Ce dictionnaire philosophique avait toutefois le mérite d’indiquer que la souffrance est « l’un des types fondamentaux d’affection. Impossible à définir le concept en étant celui d’un état psychique sui generis, dont on peut seulement rechercher les conditions mentales ou physiologiques » (p. 248). Il soulevait au moins un point intéressant, la souffrance est un « état psychique » dès lors la qualifier de psychique est tautologique.

Comment la souffrance pourrait-elle être autre que celle d’un corps pris dans un réseau de relations à autrui à un environnement, un contexte socio-économique, politique ? Comment la souffrance, n’importe quelle souffrance, n’impliquerait-elle pas le corps tout entier ? Est-ce l’habitude, la banalité de la souffrance qui nous le masque ?
Il n’y a pas de peine physique qui n’entraîne un retentissement dans la relation de l’homme au monde et il n’y a pas de peine morale qui n’entraîne un dépérissement du corps [2].

Car ce n’est évidemment pas la souffrance que je nie ici, je doute simplement de la pertinence de l’ajout« psychique ». Pourquoi ce qualificatif ? Pour s’assurer que ladite souffrance arrive au professionnel concerné dans le cadre de la division du travail ? Pour occulter la dimension systémique de difficultés où l’environnement, le social, le politique ont leur part et en reporter le poids sur le seul individu ? Reconduire le dualisme cartésien ? Ce dernier point mériterait un approfondissement qui dépasse le thème de cet article. Descartes après avoir opposé le corps comme substance étendue à l’âme, substance immatérielle, se trouve embarrassé pour expliquer ensuite leur union. En effet, comment une substance immatérielle, i.e. dépourvue d’étendue, pourrait-elle s’unir à un corps qui se trouve dans un espace ? Pourtant ce dualisme perdure, voire s’installe un peu plus en psychologie. Je n’en citerai que deux exemples.
La psychothérapie est aujourd’hui considérée uniquement comme un soin apporté au psychisme alors qu’elle a originellement pour vocation de « soigner par l’esprit » des souffrances tant « psychiques » que « somatiques » dans le cadre d’une relation à un psychothérapeute. C’est ce qu’indique son étymologie : le préfixe « psycho » y désigne la modalité utilisée pour la guérison et non ce qui doit être guéri. Si ce n’était pas le cas il faudrait alors admettre que la thalassothérapie soigne la mer par l’eau de mer, l’électrothérapie l’électricité par l’électricité... C’est donc bien à tort que la psychothérapie est présentée comme un soin de l’esprit.

Et que dire de la psychosomatique ?
Elle souscrit implicitement au dualisme cartésien, séparant ce qui lui est donné d’abord comme un tout elle vient s’étonner ensuite de liaisons possibles entre les deux parties qu’elle s’évertue alors à reconstruire.

Ainsi au fur et à mesure que ma pratique de la psychologie était bousculée par mon apprentissage de l’hypnothérapie, derrière l’apparente confusion provoquée par un changement de repères se dessinait un fil directeur : le corps. Il n’y a pas de psychologie sans corps. L’esprit n’est qu’une idée du corps, il en est juste l’horizon pas même le point de vue. Certes les limites d’une langue où les mots sont taillés pour une appréhension dualiste de l’homme ne facilitent pas la clarté de mon propos. Il en faudrait d’autres pour restituer une perspective centrée sur le corps. Le corps laissé si longtemps de côté par la philosophie et la culture européenne, « récusé [par les philosophes] et même impossible, malgré l’impertinence qu’il a de se comporter comme s’il était réel » (Nietzsche, Le crépuscule des idoles).

Car qu’il s’agisse d’une heureuse avancée lors d’une psychothérapie ou d’une curiosité renaissante pour des notions parées de l’évidence, dans les deux cas s’inscrit en filigrane la question du corps. Dans le premier, la parole retourne au corps pour s’y éteindre. Dans le second, le corps émerge de la dislocation des carcans théoriques dans leur confrontation à une clinique renouvelée. Si j’ai été marqué par la pertinence des propos de Nietzsche, c’est l’hypnothérapie qui m’a permis de prendre concrètement le corps comme point de départ, comme source de toute restauration de la puissance d’agir chez les patients.

C’est dans cette disposition [3] particulière que j’ai lu « La fin de la plainte » de François Roustang. Sa pratique de l’hypnose s’appuie sur un corps compris comme totalité vivante par opposition au cadavre. Précision fondamentale car là encore la langue française admet que l’on use du premier comme synonyme du second. Ce fil directeur du corps, Roustang le déploie, le tend, pour dépouiller du même coup la psychologie de la gangue du « psychisme » et du fétichisme de la parole dans lequel elle s’est enlisée. La lecture de Roustang (plusieurs de ces livres « Un destin si « funeste », « Comment faire rire un paranoïaque » mais surtout une vidéo où il conduit une séance d’hypnothérapie [4]) m’a suggéré des façons de le dérouler à mon tour pour rejoindre la pleine conscience, le rêve éveillé... j’y ai aussi trouvé des liens avec quelques auteurs cités plus haut qui prenaient corps dans une pratique (l’influence de Nietzsche chez Roustang est aisément repérable même s’il le cite peu) et lorsque ce n’était pas le cas j’ai senti cet écrit comme un premier diapason pour un accordage de ma pratique avec la lecture des passages des auteurs philosophes et psychologues qui m’avaient accompagnés.

La psychologie clinique conduit à rencontrer des personnes dans leur singularité. Erickson pensait la psychothérapie comme la création d’une théorie par patient. Une telle posture conduit aussi chaque psychologue à tracer son propre chemin dans une pratique qui excède ce qui peut se théoriser. Cela ne dispense pas de la nécessité d’une formation initiale largement ouverte (y compris à la statistique et à la psychologie expérimentale la plus sèche) et d’une formation continue. Cependant se tenir informé des avancées de sa discipline n’impose pas de rester un éternel disciple. Il arrive un moment où une bifurcation nécessaire se fait jour. Roustang s’est défait de beaucoup de dogmes me semble-t-il. Ce geste me plaît beaucoup : « l’important c’est pas de ne pas être élève l’important c’est d’être élève et de traverser cette position et de se retrouver soi-même tout seul pour essayer de penser par soi-même. »  [5].
Etre psychologue demande 5 ans d’études, mais le devenir prend toute la vie.

Notes

[1L’hypnose m’a permis de faire une plus grande place à ma propre créativité dans ma pratique de la psychologie.

[2De ce point de vue, il n’est pas inutile de rappeler les effets de cette dichotomie d’un corps réduit au physique par opposition au « psychique » dans le sort réservé aux « blessés psychiques » lors de la première guerre mondiale.
https://www.franceculture.fr/histoire/blesses-psychiques-de-la-grande-guerre-cachez-ce-mal-quon-ne-saurait-voir.

[3terme plus heureux qu’état d’esprit qui m’est pourtant d’abord venu en tête

[4Alain Casanova et Monique Saladin (2000). Le psychisme n’existe-pas. Starfilm International.

[5France Culture Hors-champs émission de Laure Adler - François Roustang 09/01/2012

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