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F. Roustang : Narcisse et Psyché (suite FDP)

jeudi 28 mars 2019, par psyfph2

Les mythes de Narcisse et Psyché illustrent la vacuité de la connaissance de soi pour ce qui est de la guérison… Si guérison il y a, car s’agissant des souffrances et des difficultés à affronter dans le cours d’une existence, le terme paraît mal choisi. Il serait plus juste de parler de capacité à se réinstaller dans la vie, à s’y insérer, à y prendre sa place à renouer avec le vital. Or pour y parvenir ne pas se connaître peut-être essentiel à la vie. C’est pour Roustang ce que veulent nous dire ces deux mythes de Narcisse et de psyché.
Narcisse qui s’abîme dans la contemplation de son reflet symbolise la dimension mortifère de la connaissance de soi : « Celui qui ne veut être touché ni par les jeunes gens ni par les jeunes filles parce qu’il veut se connaître est un individu sans corps. » (p.20). Le mythe de Narcisse nous montre comment l’âme peut se retourner contre elle-même en se penchant avec avidité sur son corps. Quant à Psyché elle cède à l’envie de voir son amant et le perd en allumant sa lampe. Or cet amant n’était autre qu’Eros. Qu’est-ce que l’éros sinon le souffle vital, l’amour, la vie, le désir ? Dans le mythe d’Eros et Psyché « Eros ne peut être vu ; il peut seulement être touché et entendu » (p.22). Ces deux mythes nous disent une seule et même chose. Le toucher est le sens de tout vivant, le seul qui ne puisse pas faire défaut c’est le toucher. « Qu’est-ce qu’un corps animé, c’est-à-dire un corps tout simplement , si ce n’est une surface recouverte de peau, de poils, de fibres ou d’écailles tout entière en rapport avec l’extérieur et dont l’extérieur définit précisément les contours ? » (p.23) Le corps ne peut être au monde qu’en touchant, l’organe du toucher c’est le corps tout entier. La psyché est indissociable du toucher c’est le propre du corps. Il n’y a pas de corps sans psyché c’est-à-dire sans toucher. « Amour avait donc raison de prévenir Psyché : tu peux me toucher, mais non pas me voir, car me voir est mettre une distance excessive entre ce qui anime et ce qui est animé. » (p.24).
C’est précisément parce qu’il refuse d’être touché que Narcisse s’annihile. Il n’y a pas de psychisme sans corps, la psyché c’est l’âme comme principe de vie qui anime le vivant, sans psyché le corps est un cadavre, mais sans corps il n’y a pas de psyché.

***

Avatar de Narcisse, le narcissisme est le tour de passe-passe conceptuel consistant à assimiler la psyché à ce grand miroir double et pivotant, et partant de ce dévoiement de sa signification, l’annexer au soi et à la contemplation de soi si chère à notre culture. Plus on se regarde plus on se connaît, plus on se connaît mieux on se porte… C’est cette confusion de Narcisse avec Psyché qui ouvrit la voie à deux pseudo-concepts : le narcissisme primaire et le secondaire.
Le narcissisme primaire devint l’organisateur présidant aux premiers mouvements du moi, à sa construction face à l’indifférenciation et au chaos auquel est livré le monde du nouveau-né. Mais c’est là une double absurdité :

  • premièrement toutes les recherches en psychologie en éthologie des trente dernières années tendent à montrer que le nouveau-né organise son monde et peut différencier les éléments de son environnement et ce mouvement organisateur commence bien avant la naissance, puisque dès les premiers mois le fœtus,loin d’être pas assujetti à celui de la mère, a son rythme propre. Il n’est nullement besoin de Narcisse pour cela, c’est Psyché, c’est le corps lui-même qui se structure et il n’y a là rien d’erratique.
  • deuxièmement comment Narcisse qui est la confusion même qui se confond avec sa propre image pour s’y anéantir serait-il en capacité d’organiser quoi que ce soit ?

Examinons maintenant le narcissisme secondaire une autre inanité. Le narcissisme secondaire fluctuerait avec l’orientation de la libido : plus l’investissement d’objet croît plus le narcissisme s’étiole, la libido tournée vers le moi faiblit. A l’opposé plus l’investissement d’objet diminue plus le moi grossit. Une telle position est consternante, le rapport aux autres et à soi est corrélatif : « nul ne touche s’il est touché, nul n’a un intérieur qui ne soit à chaque instant soutenu et supporté par l’extérieur ». Il faudrait plutôt dire que le moi s’enrichit avec l’objet et si le moi venait à faiblir les deux suivraient la même pente.
Ces théories du narcissisme d’un idéalisme embrumé sont réfractaires à l’expérience. Psyché comme animatrice du corps leur est inconcevable. Alors qu’il aurait dû être circonscrit à ce pourquoi il est apparu dans la psychiatrie c’est-à-dire ce qui fait « sortir l’homme de son corps et donc du monde » (p.28) le Narcisse moderne poursuit tranquillement sa carrière. Car c’est bien la fonction d’un corps proprement humain que d’organiser les perceptions les sensations avant même qu’une quelconque instance du moi soit capable de se dire ou de se contempler et il est parfaitement absurde se référer à quoi que ce soit d’autre.
Que fait Narcisse ? Il « « se passionne pour une illusion sans corps ; il prend pour un corps ce qui n’est que de l’eau ». Le suprême de la perversion est peut-être de penser que le psychisme a une existence, qu’il y a une réalité psychique, que l’on peut connaître le psychisme alors que c’est le corps psychisé qui existe » (p.29).

***

La conception de la guérison si l’on suit le mythe de Psyché est tout autre elle repose sur l’animation du corps : il s’agit d’apprendre ou réapprendre à être touché condition de l’existence d’un corps nécessairement plongé dans un monde où il se meut. Le corps est toujours déjà-là. A l’opposé avec Narcisse la guérison reposerait en premier lieu sur la mise à jour du fonctionnement d’un psychisme qui précéderait le corps qui en serait distinct.
Psyché c’est l’âme mais l’âme comme principe de vie qui anime le vivant. Le psychique c’est l’amour qui n’a que la seule fonction d’animer » (p.21).
Si sans psyché il n’y a que le cadavre, sans corps il n’y a pas de psyché. Psyché n’est pas le corps tout entier mais elle est quelque chose du corps. Le corps c’est toujours déjà le monde. « Sentir pour l’humain c’est déjà l’avoir dit, car on ne sent que dans une culture, avec les mots et la façon d’être » (p.29). Un corps capable de sentir c’est un corps qui a le sens commun et celui-ci précède la modalisation par les 5 sens. Le corps est ce qui leur donne leur unification. Il les précède. Les narcisses modernes restent les champions de la plainte. A la recherche d’un pourquoi ils s’enlisent dans le vide de la connaissance de soi, vide qui ménage toute sa place à une plainte qui, nous l’avons vu, peut s’amplifier démesurément. S’il y a des plaintes décentes à la mesure d’un chagrin, celles des narcisses modernes se développent à la façon d’un cancer. L’amour de soi est un amour qui ne se peut, il alimente les amours impossibles. Les amours possibles sont ceux de l’autre bord ils épousent le réel « ils se forment parce qu’ils informent les multiples formes des détails de la vie » ils échappent ainsi à la répétition. C’est ce même accord dont parle Rosset quand il évoque la nécessité pour le sujet de s’accorder avec le monde en acceptant que s’y trouve l’objet de son désir [1]. Le désir de voir chez Psyché risque dans le contexte actuel de l’emporter et si Psyché ne tient que quelques nuits c’est pour le plus grand bénéfice du Narcisse moderne.
A moins que l’on n’ait à faire à un bon manipulateur.

A suivre...

Notes

[1l’apparence d’une quête d’un objet précieux dont celui-ci tient pour acquis qu’il est hors de ce monde. La figure d’un être aimé « toujours ailleurs que dans ce monde » est un alibi pour celui chez qui l’amour est en fait indésirable.Clément Rosset : l’objet du désir

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