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F.Roustang : Hypnose, art de la manipulation et éthique. (suite FDP)

dimanche 28 avril 2019, par psyfph2

Parler de manipulation est devenu péjoratif. Mais il faut rappeler que la manipulation met avant tout en jeu le toucher et fondamentalement le corps (il faudrait préciser du corps vivant et donc aussi de la psyché). Elle peut donc être bénéfique. Roustang insiste sur le geste d’un médecin refaisant le plâtre d’un jeune malade. A chaque intervention le soignant infléchit insensiblement la déformation. C’est bien grâce à cette manipulation que la jambe du malade est reformée. Le geste quasi artistique de modelage du plâtre épouse la situation actuelle du membre tout en l’ajustant chaque fois un peu plus afin que ce dernier recouvre son intégrité.

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Comment la manipulation a t-elle été réduite à son seul sens péjoratif ? Sans doute la pratique du prestidigitateur en est-elle en partie responsable. L’utilisation des mains pour tromper a provoqué ce glissement sémantique venu s’appliquer au champ du politique. Là les gouvernants mènent les citoyens en les faisant s’illusionner. Ainsi il semble qu’il y ait une opposition entre un sens littéral positif, renvoyant à la main de l’artisan, du soignant et un sens péjoratif figuré renvoyant au champ du politique, aux relations sociales…
En fait les couples littéral/figuré et sens favorable/défavorable ne se recouvrent pas car c’est encore la main dans les manœuvres politiques, les malversations des gouvernants, qui est à l’œuvre : une main qui bourre des urnes, tend une enveloppe... Et même si aujourd’hui la médiation de l’informatique ne cesse de s’étendre que trouve-t-on au final à l’autre bout sinon des mains pour manipuler les touches d’un clavier ?
Ce qu’il faut se demander c’est si ces mains ont encore quelque chose d’humain.
En fait les deux couples dont les oppositions se recouvrent sont péjoratif/mélioratif et vivant/machinique. Dans le premier cas les mains ont un rapport au vivant au corps, dans le second elles renvoient au cadavre, au robot. Dans le dernier cas il faut penser à la foule réduite à un organisme désarticulé mené par un orateur qui en fait son pantin, ou à l’individu qui se cherche un maître pour penser et décider à sa place. C’est cette manipulation exigée, revendiquée qui ouvre sur le non humain, le robot.

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L’autre manipulation si elle est du côté du vivant n’en est pas pour autant sans risques, parce que pour quitter une vie mortifère il faut en passer par un danger mortel. Provoquer bousculer irriter « la manipulation qui tend à susciter une vie plus ample plus intense […] est inséparable d’une certaine contrainte d’un appel à la soumission obligée » (p.34).
« Les psychiatres savent bien que rien n’est plus dangereux pour un patient qu’une amélioration décisive […] lorsque la vie pénètre à flots dans un organisme sclérosé, elle risque de le tuer. » (p.35).
Parce que la manipulation a pris ce tour détestable il s’est agi de la conjurer : ne pas parler, de ne pas toucher, ne pas voir. « Un silence lointain et détaché conduirait à la perfection du respect » (p.35). Cette neutralité est ainsi devenue la manière la plus retorse de se donner bonne conscience tout en pesant lourdement sur l’interlocuteur. En fait en psychothérapie on ne cesse de manipuler, i.e. d’influencer le partenaire. Que cherche le thérapeute replié dans le silence sinon à maintenir sa suprématie, son invulnérabilité, masquer son ignorance son incompréhension voire sa sottise ? On se croit respectueux alors qu’on fait seulement preuve de rigidité et de distance. La manipulation est une réponse, la pire comme la meilleure. Le dialogue thérapeutique est autant verbal que corporel « impossible de s’entendre si l’on renonce à danser ensemble » (p.39).
Les recherches ont montré à quel point dans une communication efficace et harmonieuse les gestes de l’un se calaient sur ceux de l’autre. De là en a été conclu qu’il fallait absolument adopter en miroir les attitudes, rythme respiratoire, postures, du patient. Inversement, si les mots utilisés sont justes pour décrire la situation du patient celui-ci va chercher une position corporelle qui y soit plus conforme. Si le patient parvient à verbaliser au plus juste sa situation c’est son corps tout entier qui va s’ajuster à son tour à cette expression, d’où la pertinence de la manipulation thérapeutique.

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Face à un patient si focalisé sur son problème qu’il a fini par s’y est emprisonner, accentuant d’autant la souffrance qu’il cherche à tout prix à le résoudre, le détour par le chemin du corps est thérapeutique. Restaurer la place du corps c’est pour le patient accepter de se dessaisir de son problème pour laisser la vie reprendre ses droits. Au point que pour Roustang il faille faire perdre la « tête à ce patient pour que son corps entre en jeu » (p.40). Comment faire ? Très simplement en invitant le patient à faire maintenant dans son fauteuil de thérapisant les gestes que ses mots suggèrent. Cette manipulation peut passer pour ridicule et irrespectueuse parce qu’elle laisse la souffrance de côté mais la dimension thérapeutique consiste à conduire le patient à retourner dans la vie à redonner au corps son mouvement. Trouver la position corporelle adéquate ajustée à sa situation dans le dispositif thérapeutique c’est redevenir disponible au monde, être prêt comme l’adroite manipulation du médecin avec la jambe plâtrée de son patient, à épouser les contours de la réalité telle qu’elle se présente. Ce qui détermine « la réussite ou l’échec [réside] dans l’intensité de la présence en geste et en paroles, dans la fermeté et la précision des postures et des mots, c’est-à-dire dans la participation aux mouvements réciproques. Ce qui réclame un investissement à la fois tranquille et total… » (p.42).
La qualité de la relation est essentielle cette qualité passe par l’espace et le mouvement. Les paroles ne sont qu’un épiphénomène, un accompagnement. « Les gestes élémentaires que nous ne cessons de produire, les paroles modulées par la voix, créent un espace de correspondances de d’harmonie qui préfigurent l’intégration du symptôme et donc sa disparition dans une totalité vivante ». (p42). « L’aïsthéseis des sensations devient l’ esthétique de la beauté » (p.43).
Etre vivant c’est être organisé par une forme en lien avec un environnement auquel elle s’adapte.
Dans les années 70 (au XXème) l’adaptation était une aberration à éviter à tout prix car c’était s’adapter à la société de consommation, une thérapie ne pouvait être qu’au service de la révolution mais « l’adaptation du vivant à son environnement n’a rien à voir avec la soumission à l’idéologie dominante. » (p.44). Par adaptation il faut entendre réanimation du corps : « réactualisation de son rôle dans le système actuel dans le rapport aux êtres et aux choses » (p.44) le déploiement de ses possibilités dans le réel. La manipulation comme relation d’un corps humain avec son environnement ne se distingue pas de la guérison. Ce n’est pas par l’analyse des mécanismes intérieurs d’une psyché déconnectée du corps que se fait cette réactualisation mais en ramenant la psyché au corps. Le psychisme séparé du corps ne mène pas à la guérison, si tant est que ce mot ait encore sa pertinence, la guérison c’est rendre au corps son souffle vital, le rendre à sa sensorialité, sa restauration son rétablissement dans ses relations au monde « Nous ne souffrons pas de réminiscences comme on le pensait au début du siècle (du XXème) mais d’un défaut de sensorialité. » Contrairement à Janet et Freud, Roustang retourne la perspective : les réminiscences attestent d’un dysfonctionnement plus global de la sensorialité, les réminiscences n’en seraient qu’une conséquence, voire un épiphénomène. Il est donc inutile de focaliser la thérapie sur le souvenir traumatique, qu’il faudrait supprimer, transformer ou abréagir. Avec cette approche l’enjeu est de restaurer le système perceptif.
C’est l’appauvrissement de de la capacité à sentir dont témoignent les réminiscences, faute d’une sensorialité active en phase avec le réel, ce sont des sensations anciennes qui refont surface, des ruminations, des sensations mal digérées, qui n’ont pas été lestées du poids de l’oubli. Les réminiscences sont l’expression d’une défaillance plus globale, celle d’un retrait de la capacité à sentir, à être au monde… Etre au monde pour les phénoménologues consiste à renouer avec l’apparaître des choses du monde à en passer par l’actualité de la sensorialité ou pour Janet épouser le présent en réalisant des synthèses nouvelles.

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Roustang choisit l’analogie du jardin chinois pour décrire la thérapie :
- dans le jardin chinois l’être n’est pas mis en position de dominer de se rendre maître de la nature, au contraire il est invité à se couler dans le cours des choses, à s’introduire dans le cours de la nature pour en tirer profit…
- l’espace thérapeutique est pareil au jardin chinois, le thérapeute s’y glisse pour faire jouer les énergies propres de la personne « une longue patience, un apprentissage indéfini une écoute subtile est nécessaire pour les détecter » (p.46).
- le jardin chinois intègre toutes les forces du monde du cosmos, « il intègre la matière inchangée et même l’horreur des pierres torturées et nous prépare ainsi à mieux vivre dans le tourbillon du monde » (p.46) « S’asseoir ou se promener dans le jardin de la longévité c’est rendre maniable l’univers c’est avoir le cosmos à sa main ».
« La guérison ne serait rien d’autre qu’entretenir notre jardin chinois, le recomposer sans cesse et nous y promener pour préparer une nouvelle existence dans le grand monde » (p.46). A nouveau le connais-toi toi-même grec qui invite à se resituer dans le cosmos comme une partie d’un tout qui la dépasse et non d’approfondir jusqu’à la démangeaison imbécile la passion pour son petit moi (ce que ressassent les pseudos tests et articles psychologisant des magazines consacrés au développement personnel…)
- le jardin chinois possède encore une autre caractéristique importante il n’est pas possible d’en avoir une vue panoptique il faut en parcourir l’ensemble pour le découvrir en totalité. Le thérapeute n’est pas en position de surplomb, immobile et extérieur au processus thérapeutique. Loin de dominer l’ensemble de la situation « il doit par son déplacement continu faire apparaître l’espace de l’autre » (p.47).
Au recroquevillement figé de la maladie s’oppose la mobilité réciproque qui est pour Roustang l’autre nom de l’énergie qui circule « le Qi (tchi) est le mouvement qui habite l’espace naturel » (p.47). Si la manipulation peut être thérapeutique peut-elle échapper à la question de l’éthique ?

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Ethique s’entend ici comme une morale appliquée à un domaine qui aurait échappé à la morale traditionnelle, soit qu’il s’agisse de nouvelles possibilités ouvertes par la technologie, de normes concernant une corporation soit encore la façon de conduire son existence. On peut alors se demander quelle doit être l’éthique des psychothérapeutes pour circonscrire la dangereuse manipulation psychothérapeutique. « Mais que présuppose l’idée que les techniques sont des outils ? » (p.48) Elle sous-entend que ceux-ci peuvent être utilisés en vue d’une fin bonne ou mauvaise. L’hypnothérapie relèverait effectivement du domaine de l’éthique si elle était un outil. Mais l’hypnothérapie telle que l’entend et la pratique de Roustang est entièrement intégrée au thérapeute, elle n’en est plus que son prolongement même à la façon du véritable artiste calligraphe qui peut se laisser aller à une totale spontanéité fruit d’un long travail où le pinceau fait partie de sa main (Cela me paraît un peu court même si je perçoit bien qu’accompagner quelqu’un en hypnose c’est entrer soi-même au moins dans une transe légère...). Dès lors l’hypnothérapie ne relève pas de l’éthique mais de l’humanité de la moralité de la personne du thérapeute. L’hypnothérapie ne fait qu’une avec celui qui la pratique. Dès lors la question légitime de l’éthique n’a plus lieu d’être En admettant cela on en est pas pour autant sorti de l’éthique. Le problème n’est que déplacé de l’exercice psychothérapeutique au plan de la vie personnelle. Certes le problème prend une tournure plus philosophique : au-delà de sa fonction de thérapeute qu’est ce qu’une vie bonne ?
Exit donc l’éthique ! Y aurait-il un fond de provocation chez Roustang ? Peut être lorsqu’il se propose d’en finir, par exemple, avec la psychologie...

A suivre...

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