Lecturepsy
Accueil > Compte-rendus, notes de lectures > F.Roustang : De la demande et du désir de guérir (suite FDP)

F.Roustang : De la demande et du désir de guérir (suite FDP)

lundi 30 septembre 2019, par psyfph2

La psychanalyse affronterait une crise, due à ses dissensions internes ou aux changements sociétaux répercutés par les institutions de soin. En fait la psychanalyse a été dès sa naissance dans cette situation. Prendre une position défensive supposerait la soumission à une orthodoxie. Roustang pense qu’il est préférable de s’en remettre à une « rigueur intellectuelle intransigeante » (p.71). Il cite Winnicottt qui admet qu’un psychanalyste qui pratique l’analyse puisse faire quelque chose d’autre « adapté à la circonstance » (p.71). C’est là que le jeu qui est aussi la forme poétique de la liberté redevient possible.

***

Le refus de répondre à la demande si cher à la psychanalyse n’est pas incompatible avec les attentes adaptatives voire même de guérison institutionnelles. En effet, la demande psychothérapeutique n’est pas la demande d’un client qui achète un bien, ni celle d’un patient à son médecin pour une prescription. En psychothérapie la réponse vient du demandeur lui-même. Cette demande est un point de départ, rien ne justifie d’en déloger le patient. Au contraire, conduire le patient à s’y engager permet d’en faire le point de départ d’une dynamique : la simple formulation de sa demande à un thérapeute la transforme. Mais si le changement ne peut venir que de la personne à quoi bon rencontrer un analyste ? C’est parce que c’est cette rencontre qui engage le thérapisant dans sa demande. Avec le thérapeute il va la déployer pour y discerner les possibilités d’obtenir ce changement désiré (ou qu’il croit désirer). C’est dire qu’il va devoir changer ses habitudes de sentir, d’agir, de penser… Entendre la demande établit la relation patient-thérapeute, elle instaure une « relation transformante ». « Ce que comme thérapeutes, nous voyons, nous sentons, éprouvons même sans le dire nous le retournons à l’interlocuteur et il ne peut plus se rapporter à sa demande comme s’il ne l’avait pas donnée à l’entretien. » (p.72).
Explorer la demande, la faire jouer dans la relation c’est bien d’ailleurs ce qui doit être fait au début de toute entreprise psychanalytique. Quelle est sa nature quel rôle joue cette demande au regard de l’attente de changement ? La demande indique quelque chose de l’investissement de la personne l’authenticité de son implication dans la dynamique de transformation. Tout le monde n’est pas prêt pour faire une psychanalyse si un travail préalable est nécessaire c’est avec la demande qu’il s’initie.
(Ce qui est décrit ici c’est finalement une des formes de ce que l’on désigne comme l’alliance thérapeutique entre le thérapeute et son patient).
Mais cet engagement, ce déploiement de la demande qui mène sur le terrain du désir ne détermine pas pour autant la direction prise ensuite. En effet l’analyste peut décider :

- de négliger cette demande et lancer dans l’aventure de l’analyse sans en connaître la durée,

- de cibler cette demande à chaque séance et y répondre en fonction des possibilités du patient. Même si un des impératifs de la psychanalyse est respecté : avoir affaire au désir cela change la cure du tout au tout. Elle s’inscrit alors dans le champ de la psychothérapie qui requiert des analystes expérimentés parce qu’elle suppose une initiative, une liberté plus grande de l’analyste. Cela conduit à se demander si les règles observées dans l’analyse classique tiennent moins de fondements techniques que de conventions.

Mais ne tombe-t-on dans la guérison adaptative ? D’abord il est faux de croire que la guérison signifie un retour à l’état initial : c’est l’atteinte d’un nouvel état où la refonte des relations, aux autres, au monde, permettent une modalité d’existence plus satisfaisante (dans tous les exemples qu’il prend Roustang parle de difficultés existentielles, plus que de troubles troubles psychiatriques identifiés je pense que cette remarque permet de mieux saisir l’approche qu’il a développée).
Mais n’est-ce pas finalement une adaptation ? C’est là une « injure décisive, capable de faire taire toute personne qui, dans le cercle élitiste des nôtres, oserait l’employer ou s’en approcher à travers des locutions semblables » (p.75). Pourtant il ne s’agit ni d’un formatage au monde marchand actuel, ni d’une orthopédie dépourvue d’humanité basée sur des « techniques prétendues efficaces qui visent à redresser des comportements » (p.76)
Là je regrette que le Roustang de cette époque voisine encore avec ce genre de lieu commun faisant de toute entreprise de « modification du comportement » celle d’une déshumanisation conduisant à la « barbarie ». Argument fallacieux mais inlassablement rebattu par les plus virulents détracteurs des thérapies comportementales cognitives (TCC) qui dénoncent le « dressage », (l’animal de cirque) « le conditionnement » (l’animal de laboratoire) qui ravaleraient l’homme à l’animal. Cette critique est d’autant plus désespérante qu’on s’y érige en grand défenseur de la liberté humaine en opposant de façon outrée l’humain et l’animal. C’est ainsi que l’on cautionne, comme l’on fait maints philosophes [1] depuis des siècles, des mécanismes de domination, de mépris, voire de cruauté (si l’on considère le sort réservé à certains animaux d’élevage industriels). La répugnance de l’homme à accepter sa propre animalité va de pair avec sa domination et son exploitation éhontée des animaux. La construction d’une frontière étanche entre l’homme et l’animal avec des préjugés tels que : ils sont dépourvus d’intelligence, ce sont des machines, ils n’ont pas de langage, ils ne souffrent pas… a été longtemps entretenue par une psychologie introspectionniste. Si les TCC sont critiquables, et elles le sont, ce n’est certainement pas par leur prise en compte de comportements que l’homme a en partage avec l’animal. Cette critique est tellement inconsistante qu’il est aisé de la transformer en son contraire : les TCC ont le mérite d’infliger à l’homme une « blessure narcissique » en lui rappelant qu’il est aussi un animal...
Ce qui est toxique ici c’est de croire à tout prix que le conditionnement des comportements n’est pas une partie de la condition humaine. Son acceptation contribuerait pourtant à dépouiller un peu plus de sa justification cette domination. C’est peut être difficile à admettre mais notre capacité à interagir avec l’environnement, et même à être au monde comme humain, repose sur des conditionnements (parler d’automatismes serait peut-être connoté moins négativement mais ne doit pas nous faire oublier ce que l’homme tient de l’animal).
Pourquoi donc ne ferions-nous pas bénéficier de ces automatismes ceux qui en ont été privés dès lors que la finalité est de leur permettre, eux aussi, d’être un peu plus les agents de leur propre vie ? C’est pourtant un paradoxe auquel, nous psychologues devrions être familiers. Sauf à oublier l’importance de l’hétéronomie dans le parcours qui mène de l’enfant à l’adulte ; nos comportements d’enfants ont été sélectionnés, renforcés, dictés par des adultes. Nous n’en percevons plus la dimension contraignante tant ils sont pour nous « naturels ». L’autonomie du jeune adulte résulte en grande partie de la qualité de l’hétéronomie qu’il a connue étant enfant. En sommes-nous pour autant déchu de notre liberté ?

Mais il ne s’agit pas de cela, puisqu’elle rend à la personne sa capacité à se mouvoir dans la vie, à retrouver son élan vital. Ce désir du thérapeute pour son patient, pour être éthiquement valable et efficace, suppose son indifférence à ce qui résultera de cette remise en mouvement. «  La mise entre parenthèse du symptôme et donc le non-souci de la guérison sont le moyen de faire entrer en action celui qui veut améliorer son sort ou comme une façon de lui dire que le principe du changement est en lui et que l’on ne peut le vouloir à sa place » (p.76).

Pourquoi dédaigner ce désir de guérir ? La relation thérapisant-thérapeute se construit autour d’un but, ce but est nécessairement d’apporter quelque chose d’important au patient. C’est se leurrer de prétendre que ce but est sans rapport avec la guérison. D’ailleurs, même le psychanalyste qui pense que l’analysant a à faire l’expérience de la désubjectivation, que le désir est désir du manque cherche à amener l’analysant quelque part ne serait-ce que de le guérir de ses illusions (sur la conception du désir comme manque jusqu’à la nausée de tout ce qui existe voir Clément Rosset http://lecturepsy.free.fr/psy/spip.php?article34) C’est donc, là encore, le désir de guérir qui est en jeu et cela « ils feraient mieux de le reconnaître au lieu de jouer à ceux dont les mains pures ne s’abaissent pas à la recherche d’une quelconque efficacité » (p.77). S’obstiner à croire que le psychanalyste puisse avoir un désir sans objet c’est prendre pour objet le "sans-objet" ce qui est loin d’être sans danger.

Donc il s’agit bien de poursuivre le désir de guérir dans l’indifférence au résultat. Cette insensibilité à une réussite, qui n’est pas l’affaire du thérapeute mais celle du thérapisant, permet à ce dernier de retrouver la force et la justesse de son désir. Elle le remet en en selle le restaure dans sa puissance d’agir. Le thérapeute doit accepter d’être perdu, de suspendre ses idées reçues, de ne pas se raccrocher, tel un croyant à une théorie, déjà prête apprise dans les livres, ou au cours de ses formations pour y ramener le patient. Il avance à tâtons par essais et erreur attendant du patient qu’il valide ou non la voie dans laquelle ils s’engagent. c’est à ce prix qu’il permet au patient d’accéder à sa singularité. Il faut donc un thérapeute libre dépouillé de ses attaches théoriques, délivré du souci d’appliquer une technique. Il est une « présence attentive dépouillée de toute intention particulière ». (p.80).
Cette liberté confine à l’angoisse, inutile de se le dissimuler et en même temps c’est par elle que ramené à sa simple présence humaine le thérapeute peut aider un « autre contraint à la même recherche » (p.79). Comment l’aidera-t-il ? En percevant la vie chez l’autre en revenant à cet étonnement de la vie qui sourd qui œuvre dans son être (cela peut paraître un peu mystique d’où la nécessité de s’ancrer dans le sentir il me semble que cette liberté est facilitée par le glissement du thérapeute dans une transe hypnotique légère mais ma pratique n’est pas, ne sera pas, ne pourra pas et n’a pas à être celle de Roustang). « Le thérapeute -si ce mot a un sens – est celui qui s’émerveille par anticipation : il voit […] ou perçoit que près de lui quelqu’un est au bord de la découverte d’une nouvelle vision du monde […] que la complication d’une existence déchirée est là tout prête d’accéder à la simplicité » (p.80).
Alors que la personne s’était laissée enfermée dans une existence réduite à de la survie, une relation « transformante » s’invente dans la thérapie. Le confinement dans le malheur a été dessiné dans les relations entretenues par le patient à son monde, à son environnement, à son entourage. « L’attirance pour le malheur est souvent donnée comme explication du refus de changer, alors que c’est le contexte familial ou social qui interdit le bonheur » (p.82). « Parler de conflit psychique est une erreur il n’y a de conflits que relationnels » (p.82). Il ne s’agit pas seulement des relations du patient avec ses parents mais avec tout un milieu. Certes le changement de l’existence modifie la vie intérieure mais il n’est que la conséquence du changement de place.

***

Qu’advient-il alors du transfert ?
Il faut d’abord préciser de quel transfert parle-t-on ? Si l’on parle de la relation affective qui se crée entre le patient et le thérapeute et particulièrement celle du patient au thérapeute elle sera toujours en jeu. En revanche, s’il s’agit du transfert au sens strict c’est-à-dire le report des relations affectives que le patient entretien avec son entourage spécialement les parents, sur le psychanalyste au cours du traitement celui-ci est loin d’être pertinent. Freud lui-même ne parle-t-il pas du transfert autant comme un obstacle que comme un moteur ? Des cures qu’il a menées avec pour visée la modification de l’existence Roustang tire la conclusion que le transfert au sens strict « doit être mis hors course ». Roustang, même s’il s’en défend, définit ici un deuxième point de doctrine (le premier absolument nécessaire et quelque peu paradoxal, étant l’injonction faite au thérapeute de se défaire des théories. Le dénuement théorique du thérapeute a donc ses limites). Toutefois, Roustang le précise, ce deuxième principe ne provient ni de ses lectures ni d’une formation mais de son expérience. Ainsi, quiconque après l’avoir seulement lu l’érigerait en principe se ferait théoricien, voire disciple… S’il y a bien, selon moi, une chose à ne pas fuir dans une relation thérapeutique, ce sont les paradoxes j’y vois de puissants leviers au processus de « guérison ». Ils appellent le jeu, l’improvisation. D’ailleurs Roustang ne les néglige pas lorsqu’il explique que le thérapeute en retournant à l’envoyeur sa demande de guérison contribue à la faire advenir.

La thérapie telle que la conçoit Roustang suppose de se débarrasser du transfert inutile et dangereux. Le transfert conduit à la répétition, entretient la répétition des modes de relation habituels qui sont l’obstacle à toute transformation. Le transfert relève de la névrose alors que la relation qui se noue entre le thérapeute doit mener ailleurs. Celle-ci est déjà une relation modifiée ouvrant à de nouvelles possibilités, le transfert ne doit pas venir l’étouffer. Ces possibilités acquièrent leur réalité par ce qu’en pressent et en sollicite le thérapeute. Autrement dit, l’anticipation de ses possibilités par le thérapeute conduit le patient à y entrer (c’est un peu ce qui se passe dans un script hypnotique en partant de la description de ce que vit le sujet, l’hypnothérapeute prend peu à peu le « lead » et passe insensiblement d’une description de la situation actuelle à celle d’un phénomène qui n’est pas encore par exemple la réalisation d’une suggestion idéo-motrice).

Le transfert n’est qu’une manœuvre dilatoire du symptôme, le thérapeute désarme les tentatives d’installation du transfert et de la répétition : « et si cette répétition réapparaît dans le transfert, il la prend à la légère comme s’il s’agissait de lors d’un caprice d’un enfant gâté : " Vous n’allez pas tout de même recommencer ; votre refrain vous est assez connu pour que vous n’ayez pas à le chanter une fois encore" » (p.84).
A l’inverse de la cure classique, où les relations névrotiques dans lesquelles est prise la personne trouvent un terreau fertile, la thérapie de Roustang non seulement court-circuite le transfert mais s’appuie sur le microcosme artificiel de la thérapie pour y semer de nouveaux modes relationnels qui germeront dans le quotidien du patient. « En ce sens la thérapie n’est qu’une gymnastique relationnelle qui […] répare le disque rayé. » (p.85). Roustang évoque le cas d’un homme pris dans l’amertume de sa souffrance qui s’étant donné pour but de se pencher sur son enfance finit au fil de sa psychanalyse par s’enfermer toujours un peu plus « dans le donjon altier de sa souffrance incomprise ». Ce n’est que confronté par un autre thérapeute à sa situation actuelle qu’il en vient à oser affronter son présent.

***

Comment une transformation si brusque après tant d’années de psychanalyse infructueuses a-t-elle pu advenir ?
Roustang a une réponse très lyrique. Je vais vous glisser la mienne ici plus terre à terre, dite du « pot de confiture ». J’ai vu des pots de confiture extrêmement difficiles à ouvrir passer en vain de main en main. Un enfant voyant les adultes s’y éreinter veut essayer à son tour. On lui donne le pot. Finalement, ô surprise ! Entre ses mains se dévisse le couvercle et comble du plaisir l’assemblée bienveillante s’empresse de lui en attribuer le succès. Combien de fois ai-je entendu des psychothérapeutes-formateurs me parler de patients qui après avoir tout essayé vinrent enfin dans leur cabinet pour en ressortir délivrés voire guéris ? En me gardant bien de froisser le final de si glorieuses vignettes cliniques il m’arrive de songer au pot de confiture. La guérison n’est pas seulement une affaire de levier c’est aussi un de coup de pot.

C’est qu’en thérapie il y a des leviers et un levier doit être placé au point optimum là où il y a quelque chose à soulever. Tant que l’on suivait le patient dans sa complaisance à se pencher sur l’enfant qu’il n’est plus, à entretenir le récit d’un passé douloureux rien ne pouvait se produire parce que ce discours était le moyen de bloquer tout mouvement thérapeutique.
Qu’est-ce qu’un levier en thérapie ? C’est une présence attentive qu’il faut placer judicieusement, cela requiert de l’audace et de la liberté. Les règles sont pour cela d’un piètre secours. Il faut sentir la correspondance plus que la vérité ou l’erreur à la façon de l’œuvre qui redouble la réalité pour qu’elle sonne juste. Le thérapeute reprend réinsère les gestes, les mots, le corps du thérapisant dans le mouvement de la vie. A ce travail thérapeutique la métaphore de la danse conviendrait bien.
Je retrouve la conception Nietzschéenne de l’art où l’artiste loin de nier la réalité crée une réalité redoublée par le goût de la vie, c’est un redoublement et non un dédoublement. Le dédoublement c’est une relation au réel mise en place pour s’en protéger (protection qui est loin d’être inutile, mais quand toute une vie est construite autour de cela, ce n’est plus une vie mais de la survie. Les ruminations des personnes ayant vécu un traumatisme psychique en témoignent). Rosset la décrit bien dans son ouvrage « l’objet singulier ». Mais ce redoublement de la réalité ne relève pas chez Roustang d’une prédilection pour le « tragique de la vie » qu’il faudrait accepter et qui est si cher à Nietzsche. Fort heureusement d’ailleurs, car un praticien doit savoir renoncer à se faire philosophe : le « tragique » dans la vie devenant rapidement insupportable.

Maintenant que Roustang nous a éloignés des rives de la psychanalyse nous dériverons, le mois prochain, avec lui dans sa pratique et sa théorisation de l’hypnose.
A suivre...

Notes

[1Par exemple Heiddeger grand praticien de l’éthologie de comptoir pour qui les animaux sont « pauvres en monde » ; ils agissent dans un « environnement » mais jamais dans un monde… L’homme, lui, crée un monde...

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0 | Creative Commons License BY-NC-SA 2008 - 2024 |