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F.Roustang. Le sacré comme banal quotidien (suite FDP).

jeudi 4 mars 2021, par psyfph2

Dans l’article précédent Roustang rapprochait hypnose et effet placebo. L’efficacité du placebo reposait sur l’accomplissement d’un rite. Dans l’hypnose le rite est là aussi mais comme insertion dans l’existence quotidienne. Roustang précisait que « cette existence quotidienne est supposée se référer à un accord qui dépasse l’individu et qu’elle vise à produire une danse parmi les choses et les êtres, danse qui est bien le symbole achevé de tous les rites » (p.212). Si ce rite ne renvoie pas au religieux parce qu’il n’implique ni transcendance ni dogme ni administration légiférante, il ne rompt pas pour autant avec le sacré. Mais le sacré du rite en hypnose ne s’oppose pas au profane.

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Le profane et le sacré peuvent-ils se rejoindre ? L’opinion commune est que le sacré s’oppose au profane. Benveniste a examiné les différents systèmes linguistiques indo-européens et constaté que le dieu, associé au céleste, au lumineux, s’y opposait à l’homme et au terrestre. Cette coupure persiste de nos jours. Pourquoi le sacré est-il distinct du profane ?
Le sacré est ce qui est interdit aux hommes, ce qui est rempli de la puissance divine. En latin cette démarcation devient plus précise avec la distinction de deux termes : sacrum qui renvoie à la valeur mystérieuse et sanctum qui entoure le sacré le protège de toute contamination des hommes par une qualité divine néfaste. La même opposition se trouve dans les deux termes grecs hièros : sacré et hagios : ce dont il faut rester éloigné. Benveniste examine aussi le lien entre sacré et sacrifice. Sacrifier veut dire mettre à mort mais son sens premier est rendre sacré. C’est en la retirant du monde des vivants que la bête tuée est rendue sacrée. Le sacrifice est ce par quoi l’on passe d’un monde à l’autre. La fonction du sacrifice serait de faire communiquer le profane et le divin.
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Mais ce qui préoccupe Roustang ce n’est pas tant le passage entre profane et sacré que la coupure entre les deux. L’existence d’un passage d’un à l’autre n’est que la conséquence de leur séparation. La nécessité de sacrifier pour rendre la victime sacrée montre que c’est bien le sacrifice qui confère au sacré son existence . Le rôle du sacrifice est de faire exister le sacré. Le sacré n’est qu’un élément du sacrifice. Que le sacré ait put s’imposer par le moyen du sacrifice trahit sa nature : ce n’est qu’une invention humaine. L’évidence est trompeuse quand elle nous donne le sacré comme préexistant au sacrifice. Elle laisse croire que c’est parce qu’il y a d’abord du sacré que le sacrifice est possible et prend son sens et que son effectuation se limite à soustraire la victime au profane. Mais en réalité le sacrifice crée tout aussi bien du profane que du sacré ; sans cela il ne serait pas possible de consommer les restes de la victime. Le sacrifice a deux faces : l’une produisant le sacré et l’autre le profane. La désacralisation vise à s’approprier ce qui serait resté hors de portée des hommes.
Ainsi dans l’agriculture ce sont les fruits ou le blé dont il faut expulser le divin pour les posséder, mais ce faisant l’esprit divin qui leur donne vie et croissance en a été retiré d’où la nécessité de le rétablir mais sous un autre régime, celui du sacré. « La désacralisation, et la sacralisation qui lui fait suite ne représentent donc rien d’autre que le processus par lequel les humains tentent de s’approprier la vie qu’ils appréhendent sous la forme d’un esprit » (p.214)
Si quelque chose de sacré existe il doit être identifié à la vie, dans le cas de l’agriculture ce quelque chose est ce qui fertilise les champs. Mais ce quelque chose ne devient sacré que par le sacrifice. Ce mécanisme de production du sacré se fait plus évident au fur et à mesure qu’émerge la divinité. Au départ, il n’y a aucune différence entre dieu et victime sacrifiée. La distinction naît de la tentative de capter la vie. Les liens entre les deux se distendent de sorte que, pour reprendre l’exemple agricole, l’âme de la vie des champs devient extérieure à ce qu’elle anime (Je suis tenté de faire le rapprochement entre l’émergence du psychisme émancipé du corps se substituant à la psyché. Ce sacrifice de la psyché signerait la prise de possession d’un corps mécanisé complété par l’adjonction d’une mécanique psychique. Il est possible de filer l’analogie : ce sacrifice aurait fait naître et attesté du caractère sacré de l’humanité en installant un fossé infranchissable entre l’homme et l’animal au prix de la perte de la relation au corps vivant, de la psyché avec son substrat d’animalité. Mais Roustang n’en parle pas.). Ainsi l’idée d’un esprit dans les choses conduit à l’émergence d’un dieu qui, dégagé de la puissance initiale de l’objet, sera l’interlocuteur des hommes. Mais ce dieu est instable, aussi il requiert le retranchement d’une part du profane pour attester de son existence, c’est cette fragilité qui trahit l’invention humaine. La divinité est une interlocutrice avec laquelle l’homme peut passer des contrats. Les hommes vont pouvoir « sinon s’entendre avec lui du moins conclure des marchés. C’est pourquoi les sacrifices revêtent si souvent la forme d’un contrat dont l’enjeu est finalement toujours le même : la vie » (P.216). Les hommes sont plus malins que la divinité (pas difficile puisque tout est le produit de leur imagination) ils vont offrir au dieu non pas leur vie, mais une vie qui les représente, celle d’un animal par exemple, contre la vie duquel le blé germera et le bétail se multipliera. Le « sacrifice donne au sacrifiant la capacité de diriger la vie et de la réintroduire où bon lui semble » (p.216). (On pourrait dire à peu près la même chose de la danse de la pluie, ou des avions en bois des mélanésiens sur leurs terrains éclairés la nuit à la façon des aéroports dans l’espoir que s’y posent les véritables avions, or dans ce cas la prise de contrôle ne nécessite pas de sacrifice particulier c’est plus une offrande). Le sacrifice est ici traversé par l’utile et l’intérêt.

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Cette nécessité de se rapprocher de l’objet, supposé habité par le divin tout en le tenant à distance, rend compte de la co-existence du sacré et du profane. Mais pourquoi le contact du profane avec les forces vitales est-il redoutable ? Pourquoi les Indo-Européens en sont arrivés à une telle configuration ? Parce que face à la vie extraposée en un objet qui ne suit pas sa volonté, l’homme l’appréhende comme une ennemie. Il va chercher à résister de sorte que sa résistance accumule toute une énergie (Je reconnais là le modèle hydraulique freudien) qui est la force de la vie (cela me semble de plus en plus spécieux, la vie n’accumule pas des forces parce qu’on lui résiste voilà une conception assez floue Roustang sombrerait-il dans un vitalisme débridé ?). Alors la vie devient menaçante et prend la figure de ma mort (hum...). Ensuite Roustang en déduit dans une logique (quelque peu bancale) que si la vie est menaçante au point d’être la mort « pour la satisfaire, il ne me restera plus qu’à lui proposer ma mort » (p.218) (Pourquoi serait-il nécessaire de satisfaire la vie ? pour échapper à la mort. Et comment faire pour la satisfaire la vie ? Se tuer. C’est un cercle ! Je pense que Roustang aurait pu faire plus simple : l’homme au lieu d’appréhender la mort comme la continuité d’un cycle du vivant, dont son existence n’est qu’un moment, en vient à la séparer de la vie. Alors la vie devient quelque chose qui lui appartient et qui se dérobe, ou que l’on peut lui dérober. J’en viens à me battre contre la vie, car la mort elle-même n’est qu’une de ses manifestations.)
De là Roustang en déduit que « c’est bien l’objectivation de la vie qui a conduit les Indo-Européens à la craindre et à en faire une puissance maléfique dont seule la mort pouvait les délivrer. « Ayant voulu faire de la vie leur esclave, ils étaient devenus les esclaves de la mort » (p 218) (magie du chyasme et de la dialectique hégélienne. Mais cela ne m’inspire rien d’autre que ceci : les figures de rhétorique peuvent donner du brillant à la pensée la faire sonner juste quand elle raisonne faux) .

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Cette interprétation (qu’il attribue aux Indo-Européens, mais pour laquelle jusqu’à présent il semble qu’avant tout elle lui appartienne) Roustang la qualifie de folie et constate que, malgré l’effondrement de la religion et la disparition des dieux, nous sommes loin d’en être délivrés (Et c’est là que ses propos retrouvent pour moi de leur pertinence même si je suis dubitatif sur la filiation qu’il a construite).
Il présente deux cas :
- Freud pour qui la vie n’a qu’un but revenir à l’inerte. L’hypothèse de la réduction des tensions chez Freud témoigne de son hostilité à la vie. En effet « au lieu d’être considérés comme les moyens de transmettre la vie, les stimuli intérieurs et extérieurs deviennent des troubles de l’équilibre biologique » (p.219). Freud a pensé la vie comme l’ennemi dont il faut se protéger (Roustang ne donne pas de définition claire de ce qu’il appelle « la vie ». Je pense qu’il serait plus juste de dire le vivant le propos aurait été plus clair mais la levée de l’ambiguïté aurait peut-être rendu plus saillant le défaut de l’argumentation).
- Heiddeger qui définit l’être humain comme « être-pour-la-mort ». La possibilité de la mort hante l’humain véritable quand le vulgaire ne retient de la mort qu’un fait divers qui ne le concerne pas sur le mode du « on meurt » alors que l’humain authentique n’a pas d’autre préoccupation (cet effet de profondeur de la pensée Heidegerienne porte à faux et j’ai en tête cette plaisanterie moquant sa mécanique philosophique et son jargon : qu’est-ce que l’être-du-couteau Heideggerien ? C’est un couteau sans manche dont on a enlevé la lame.)
Voilà comment dans ces deux cas la mort règne en maître. Elle est ici à la base du rapport à soi, au monde et autres. Rien ne doit détourner l’individu occidental écrasé de solitude de son affrontement héroïque avec la mort ; « Heiddeger comme Freud et tant d’autres, rejoint à sa manière les inventeurs du sacré » (p.220) ( précisons qu’il s’agit du sacré pensé comme distinct du profane).

A suivre...

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