Première partie
: Chapitre
2 L'oubli et les diverses existences successives
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chapitre 1
Chapitre 2
L'oubli
et les diverses existences psychologiques successives
Janet
présente les cas de mémoires alternantes. Dans le cas
d'une de ses patientes à l'état de veille : A, le sujet
ne se souvient pas de ses états B et C. Dans l'état
B il se souvient de A et de B. Enfin dans l'état C il se souvient
de A, B et C.
Le trait pertinent pour déterminer si un sujet est en état
de somnambulisme, quand on ignore les modifications singulières
entraînées chez lui par cet état, est le phénomène
d'oubli de tout ce qui s'est passé au réveil.
Trois lois de la mémoire sont alors constatées :
-oubli complet pendant l'état de veille de ce qui s'est passé
-les évènements oubliés sont accessibles au sujet
quand il retombe en somnambulisme
-souvenir de ce qui s'est passé pendant la veille en état
de somnambulisme
Janet fait un parallèle entre cette récupération
sous état hypnotique et la récupération d'événements
vécus sous l'emprise de l'alcool par un sujet dès lors
qu'il se réalcoolise.
J''introduis ici une remarque, elles
seront signalées au lecteur par l'utilisation de l'italique.
L'observation de Janet n'est ni plus ni moins que l'hypothèse
d'effets de contexte physiologique sur l'organisme dans la mémorisation
que retrouve A. Baddeley dans son expérience sur la récupération
d'une liste de mots appris sous l'eau par des plongeurs et à
rappeler soit sur la terre ferme soit sous l'eau.
De là, Janet en vient à supposer que dans les suggestions
post-hypnotique l'oubli n'est qu'apparent. Il subsiste à l'état
de veille une forme de souvenir qui permet leur exécution.
" Tantôt consciente, tantôt ignorée par le
sujet, tantôt elle envahit l'esprit comme une impulsion "
P.93
Le sujet à l'état de veille qui l'accomplit en oublie
ensuite l'exécution. L'état de somnambulisme est à
distinguer de la suggestion, cette dernière semblant plus proche
d'un état hypnoïde léger.Tiré brusquement
d'un état hypnotique le sujet est dans un état de conscience
identique à celui d'un sujet arrêté par la sonnerie
du réveil ; le souvenir du rêve s'estompe rapidement.
L'oubli somnambulique s'expliquerait
par la modalité sensorielle et son codage en mémoire
(les termes de codage, de récupération
ne sont pas utilisés par Janet, c'est moi qui synthétise
à partir de concepts apparus ultérieurement. Voir l'avertissement
au début de ces notes. Ces reformulations ne seront plus signalées
à l'avenir). Les sensations et leur mémorisation
sont véhiculées par un sens privilégié,
kinesthésique, visuel, auditif.
Le somnambulisme solliciterait une autre modalité sensorielle
que celle habituellement utilisée par le sujet à l'état
de veille. Ainsi une des patientes hystériques de Janet : Rose,
anesthésique du côté droit (hémianesthésie)
recouvre la sensibilité en somnambulisme et la perd lorsqu'elle
quitte cet état. Mais quand à l'état de veille,
stimulée avec un courant électrique au niveau de sa
main, elle retrouve sa sensibilité et se souvient du même
coup de ce qui s'est passé : " C'était un sou que
vous m'aviez mis dans la main " (il s'agit de la main anesthésique).
p.111.
Janet conclut : lorsqu'un " sens ou même une sensibilité
spéciale a disparu, les images et par conséquent les
souvenirs des phénomènes qui ont été autrefois
fournis par ce sens ont disparu également ".
Il y aurait donc différents types de sujets selon la modalité
sensorielle prédominant (Janet se considère lui même
comme un moteur). Les modifications de personnalité leur alternance
résulteraient du passage d'une modalité sensorielle
dominante à une autre. Les hystériques ne se maintiendraient
dans un état d'intégrité sensorielle qu'au "
moyen d'excitations sensorielles renouvelées ".
Chez Nieztsche on trouve l'idée que c'est le propre des "natures
épuisées" que d'avoir besoin d'excitants, mais
je ne me souviens plus du titre de l'ouvrage.
Il y a un problème dans cette explication de Janet comment
se fait-il qu'en changeant de " type " le sujet en somnambulisme
conserve les souvenirs de l'état de veille qui sont pourtant
sous la dépendance d'un autre sens ? Il est vrai qu'avec les
patientes hystériques de Janet on va du moins au plus quand
on passe à l'état somnambulique, mais pour des sujets
tout-venant ?
Concernant
les sujets hystériques Janet parle de " tare ", "
d'existence très inférieure ". Son arsenal thérapeutique
comporte : l'aimant, le courant électrique, les plaques métalliques.
Il se pose la question du caractère supérieur ou inférieur
de l'état somnambulique : " Est-ce une décadence
ou un progrès ? ". J'y vois là une tendance lourde
du 19éme et du début du 20éme consistant sans
cesse à chercher du supérieur et de l'inférieur,
celle-là même qui a nourri les entreprises coloniales.
Toutefois cela cache une idée et une démarche plus originale
qu'il n'y paraît, elle dépasse cette tendance de beaucoup,
c'est que j'ai pensé en lisant la totalité de l'ouvrage.
Janet ajoute :" L'éducation du somnambule par celui qui
l'endort est le plus grand danger ".
Suite : La suggestion
et le rétrécissement de la conscience