Lecturepsy
Accueil > Compte-rendus, notes de lectures > Clément Rosset : A propos du singulier

Clément Rosset : A propos du singulier

samedi 28 septembre 2013, par psyfph2

Notes de lecture sur « l’objet singulier » de Clément Rosset nouvelle édition augmentée 1979. Les éditions de Minuit.

Rosset avertit d’emblée son lecteur, ce qui suit doit se comprendre dans le cadre d’une pensée philosophique et celle-ci ne peut se lire à la lumière des enjeux de l’histoire. Appliquer une telle pensée à l’histoire est une absurdité. Une telle réduction conduit à la justification des positions les plus réactionnaires au motif que : « que ce qui est est » et qu’en conséquence toute idée de changement témoignerait alors d’une inadaptation au réel. S’il en était ainsi tout mouvement social relèverait de cette même incapacité à accepter le réel... Envisager les positions de Rosset sur le réel dans une perspective historique est un grossier mésusage de sa pensée. L’auteur précise :
« L’intérêt moderne pour l’historicité du réel [est un] un indice parmi d’autres de la difficulté à prendre en compte le réel tout court » (p.9).

La réflexion de Rosset prend pour point de départ une scène de l’Illiade. Dans celle-ci le guerrier Pandoros convaincu que sa flèche allait toucher mortellement son adversaire ne s’explique son échec que par une intervention divine. Un Dieu aurait détourné la flèche de sa trajectoire.

L’explication de Pandoros est paradigmatique de notre rapport au réel. Tout comme lui nous éprouvons irrésistiblement le besoin de ravaler le réel au rang d’un simple duplicata d’une autre réalité dont il ne serait qu’une altération. Les faits se voient relégués au rang d’une mauvaise copie de ce qui aurait du réellement se passer. Pandoros a échoué victime d’un détournement du réel. Un duplicata falsifié s’y est substitué : la flèche qui normalement atteignait son but s’est trouvée injustement déviée. Par cette opération de dédoublement du réel ce qui n’est pas arrivé acquiert un statut plus vrai que les faits ou la chose même. La mésaventure de Pandoros ne nous présente « pas un événement simple et réel (un archer manquant son but) mais bien deux évènements témoins de deux réalités concurrentes. » (p.11).
Tout se passe alors comme si deux réels différents postulaient à leur avènement, Pandoros plaidant pour une réalité qui était de droit évincée par une réalité de fait.

« Le réel auquel participent les humains n’est que l’apparence visible de la réalité invisible : une présence divine explique le présent terrestre tout comme la présence de l’être selon Heiddeger, délivre la nature présente de ce qui est actuellement étant » (p.12).
Cette relation que nous entretenons au réel n’est pas celle du doublage de telle ou telle partie du réel, car la figure du double fait aussi partie du réel, celle que critique Rosset consiste en une contrefaçon du réel, ou plus exactement l’attaque du fait d’existence le plus général, plutôt que l’attaque d’une réalité particulière.
En fait ce que l’homme nie dans son rapport au réel c’est « qu’il y ait jamais manifestation irréfutable de l’existence » (p.13). « L’imagination d’un seul double entraîne ainsi la mise en doute de toute la réalité-ou du moins sa mise à distance, parfois rassurante quoique toujours provisoire ». (p.13).

La duplication qui rend le réel douteux découle de l’invisibilité du réel. Cette invisibilité du réel n’est pas accidentelle (due à une duplication fantasmatique) elle en est « un caractère constitutif » (p.15). « L’objet réel est en effet invisible, ou plus exactement inconnaissable et inappréciable, précisément dans la mesure où il est singulier, c’est-à-dire tel qu’aucune représentation ne peut en suggérer de connaissance ou de représentation par le biais de la réplique » (p.15).

Il faut, me semble-t-il, se souvenir de cette acception du terme invisible (c’est à dire inconnaissable inappréciable) lorsqu’elle s’applique au réel car le même terme appliqué au doublage du réel désigne en revanche une réalité irrémédiablement absente (il n’y a rien à voir.

Ce qui est contesté ce n’est pas la plus ou moins grande fidélité d’une représentation au réel « on savait déjà que celle-ci était nécessairement limitée, imparfaite, partielle et partiale » (p.15) mais qu’elle est étrangère à ce qu’elle représente. Une représentation est fondamentalement hors de son sujet, « puisque cette représentation parfaite que serait le double réplique absolue du représenté, n’aboutit pas à une suggestion du réel mais à la relégation de celui-ci dans la non existence » (p.16).
Pourtant le double reste une voie d’accès privilégiée au sentiment du réel dans le sens où ce dernier a pour caractéristique d’être « impensable ». (p.16). Le double par la radicale altération de l’objet qu’il prétend reproduire est le biais d’accès le moins indirect au réel, ce qui le rend « visible ». C’est-à-dire conduit à l’envisager dans l’évidence de son invisibilité. Plus clairement, l’échec dans la représentation du réel conduit à en appréhender un attribut qui en est constitutif et que nous percevons plus clairement et paradoxalement : il s’agit de son invisibilité.

Suite

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0 | Creative Commons License BY-NC-SA 2008 - 2024 |